Terre Sainte

Terre Sainte

Voilà ce personnage incomparable nommé Jésus, debout sur la grève de la mer de Terre Sainte, avec ses gestes apaisants et son regard rassurant, à partager des petits pains et des poissons, entouré par une foule médusée. Plus loin, le jardin de Gethsémani, dense, avec des arbres aux canopées imposantes, des branches aux couleurs sombres, tordues dans tous les sens, tel un décor de théâtre qui répète d’arrache-pied les scènes d’une pièce dramatique, qui marquera l’humanité tout entière.

Les eaux troubles du fleuve Jourdan se déplacent lentement, elles semblent transporter en surface une tranquillité apparente, qui ravi les regards, mais qu’inquiète les esprits. Les eaux tranquilles sont profondes… L’étable du vieux Joseph est en ruines depuis bien longtemps, elle s’en va même de la mémoire des gens, autant dire qu’elle n’existe plus. L’étoile qui a guidé les bergers dans une nuit mémorable, s’est cachée quelque part dans l’infini, elle est invisible, mais il y a des myriades d’autres qu’illuminent la voûte céleste, il suffit de lever le regard pour les retrouver. C’est ainsi la Terre Sainte. Un pays de contrastes, un pays où le passé est présent, et le présent est dépassé.

Quelques ajoupas mal alignés, des chiens, des cochons, des ânes zigzaguent entre des misérables habitations, descendant vers la source d’eau douce qui resurgit en bord de mer, pour étancher leur soif. Ils dessinent ainsi des chemins sinueux inspirés des hameaux du moyen âge. Si tous les chemins mènent à Rome, à Terre Sainte, ils mènent tous vers la mer.

Malgré ses épines acérées, les bois de Cintre (Sinte – Scutia Myrtina) sont une bénédiction ! La tisane des ses écorces et de ses feuilles apaise les souffrances d’un paludisme traitre et meurtrier. Pour peu, on aurait pu aussi confectionner avec ce bois épineux, une couronne, comme celle qu’on a posée sur la tête du Christ.

Un pan entier du vieux « calbanon » est encore debout, tel un ancien combattant qui attend fatigué la remise d’une médaille, un jour de fête républicaine. Une médaille ? La vieille ruine n’en aura jamais ! A la regarder de près, le conflit qui se livrent ses pierres, les unes voulant tomber, les autres non, nous fait comprendre que le ciment qui tente de les unir, est comme son histoire, versatile, fragile, controversée. C’est comme le mur des lamentations en Terre Sainte, malgré toutes les prières, il dépérit peu à peu.

Le Golgotha. Fermant les yeux et faisant appel à la mémoire on distingue encore nettement en son sommet, la croix qui deviendra le symbole du christianisme. Un martyr, deux morceaux de bois et trois clous, ont donné un sens sacré au nom de la Terre Sainte. Une croix sur un promontoire. On en a mis partout dans le monde entier… Et on s’y rend souvent de beau matin pour invoquer la protection divine, chacun pour soi et Dieux pour tous.

L’estuaire de la Rivière d’Abord est indécis, parfois il va dans un sens, parfois dans l’autre, parfois il est rempli d’eau salée, parfois d’eau douce, et il est toujours cerclé par des fontaines d’eau pure qui se déversent dans l’immondice d’un bras de mer, qui n’en est pas un. Ce n’est pas comme le fleuve Jourdan, l’estuaire de la Rivière d’Abord manque de profondeur…

Pierre tire de toutes ses forces la barque qui l’a conduit sur des vagues aussi généreuses que ténébreuses. Il veut la mettre en un lieu sur, il veut la faire reposer sur les plages de la Terre Sainte. Pierre l’apôtre, Pierre le disciple, Pierre le pêcheur, celui qui est devenu Saint-Pierre.

Jadis il y avait là plusieurs barques colorées, mises en cale sèche par des hommes volontaires et courageux comme l’était Pierre, elles étaient là, côte à côte, dans une attitude d’union et de solidarité propre aux gens de la mer. Peut être le lien le plus symbolique entre Terre Sainte, et « la » Terre Sainte de jadis.

La Jérusalem d’aujourd’hui a bien changée. Rêvée, convoitée, assiégée plusieurs fois au cours de son histoire, elle abrite hélas, des habitants qui s’opposent, des peuples qui se disputent dans des quartiers où l’humanité ne se rejoint pas. C’est à ne plus rien comprendre. Le berceau du christianisme est aussi le cimetière de grandes illusions.

La ruelle Charles Prince, l’impasse Nicole, la rue Amiral Lacaze sont méconnaissables ! Plus rien à voir avec le village de longtemps, et ce ne sont pas les tons pastels des maisons d’aujourd’hui, qui donneront l’âme qu’avaient les misérables ajoupas d’hier. Les gens se connaissaient, les hommes allaient pêcher ensemble, les femmes allaient prier ensemble, on souffrait ensemble, et cela donnait des couleurs vives, à la vie.

La Terre Sainte et le quartier de Terre Sainte ont au fond, des destins communs. Pourvu que depuis le Paradis Saint-Pierre ait pitié et jette un jour, un regard bienveillant et sur l’une, et sur l’autre. Pour comprendre et accepter ce qui se passe aujourd’hui, il est prudent de s’en remettre à la divine Providence.

Enis Rockel